C'est l'occasion de rappeler que, à l'image des luttes traditionnelles à mains nues (comme la croche de l'île de la Réunion), la canne de combat et le bâton possèdent des homologues dans de nombreux pays du monde. Ce n'est pas une pratique franco-française, loin de là !
Quelques exemples :
El Tahtib. Le bâton égyptien.
« Le verbe d'un animal c'est son cri ; mais pour l'homme qui a compliqué la parole , le porteur le plus primitif de son verbe c'est le bâton.Par lui il exprime son geste et sa nature ; avec lui il démontre, il menace, il châtie ; par lui il se mesure ; sur lui il se repose ; et dans l'obscurité le bâton le dirige. Son bâton exprime sa force ; sa canne exprime sa fonction. Un homme peut être nu pourvu qu'il ait sa canne ! L'humeur de l'homme est variable, sa canne est immuable ; elle rétablit l'harmonie ; elle impose le respect. S'il dort, elle le garde ; s'il est las elle le protège ; s'il est tenté d'oublier sa fonction, sa canne appelle son action. »
(Extrait relatif à la XXème dynastie du livre Her-Bak « pois chiche » d'Isha Schwaller)
La pratique du combat au bâton en Egypte remonte à l'Antiquité. Les bas-reliefs de la tombe de Sahouré à Abousir datant de la Vème dynastie (2470-2320 avjc – Ancien Empire) attestent de la pratique du bâton en Egypte dès l'Ancien Empire.
De nombreuses traces archéologiques confirment la pratique du bâton de manière ininterrompue tout au long de l'histoire égyptienne. Les plus connus sont les gravures de la nécropole de Béni-Hassan datant de la XIIème dynastie (1991-1785 avjc – Moyen Empire), les bas-reliefs de la tombe de Khérouef à El-Assasif datant de la XVIIIème dynastie (1552-1292 avjc – Nouvel Empire) et les représentations du temple de Ramsès III à Médinet Habou datant de la XXème dynastie (1186-1069 avjc – Nouvel Empire).
Le combat au bâton était une discipline très prisé des anciens égyptiens qui le pratiquaient lors de cérémonie religieuses, pour l'entraînement de leurs troupes ou comme simple divertissement. Si à l'origine les combattants utilisaient des bâtons longs tenus à deux mains, à partir du Moyen Empire (2055-1650 avjc) apparaissent des bâtons plus court d'environ 1m de long maniés comme des sabres. Les combattants portent souvent des protections pour réduire le risque de blessure, notamment sur les mains, les avants-bras et le visage. A partir du Nouvel Empire (1549-1069 avjc) la pratique du bâton égyptien s'enrichit encore et se raffine en se parant d'attributs artistiques et festifs (pas et gestes « dansés », musique,...).
La pratique du combat au bâton persiste même après l'âge d'or de la civilisation égyptienne puisqu'on en retrouve des traces durant la Basse Epoque (750-332 avjc), l'ère gréco-romaine (332 avjc-395) et dans la littérature chrétienne et musulmane médiévale qui le décrivent comme un loisir et un art populaire et festif.
Encore aujourd'hui subsiste dans les villages de la vallée du Nil un lointain parent très populaire de cette pratique antique connu sous le nom de « Tahtib », abréviation de « Fann el-nazaha oual-tahtib » (littéralement l'« art de la droiture et du bâton »).
Tout à la fois art de la joute et danse au bâton le Tahtib est pratiqué sous forme de joutes lors des fêtes populaires. Après que les participants aient formés un cercle, les jouteurs armés de bâton en rotin d'environ 1m30, s'avancent deux par deux exécutant quelques pas dansés au rythme de la musique au rythme de la musique du folklore saïdi. Après s'être jaugé, s'accordant implicitement sur le degré d'intensité du duel, ils entament la lutte. Le jeu consiste à passer la garde de l'adversaire pour lui effleurer la tête, les coups n'étant pas réellement portés. Les duels ne durent guère plus de deux minutes. La foule régule l'affrontement, arrêtant les participants lorsque celui-ci dégénère dans l'agresivité
Depuis quelques années le Tahtib connait un regain d'intérêt en Egypte et est enseigné dans de nombreuses écoles.
Image 1. Scène de combat au bâton. Temple de Ramsès III à Médinet Habou. XXème dynastie (1186-1069 avjc – Nouvel Empire).
Image 2, 3 & 4. Fann El-Nazaha Oual-Tahtib.
Source : https://www.facebook.com/groups/550462668358535/permalink/920440188027446/
Le rituel Donga, le bâton ethiopien.
« Pour des yeux étrangers, le Donga peut sembler primitif et cruel, mais n'est-il pas, à la manière éthiopienne, l'un des mille et un rituels inventés par l'Humanité pour gagner les cœurs ? »
(Hans Silvester – Donga, Se battre pour séduire – 2011)
Dans la vallée de l'Omo, au confins de l'Ethiopie et du Soudan, les membres de l'ethnie Suri pratiquent une forme très violente de combat au bâton nommé « Donga ».
Le rituel Donga revêt une importance majeure dans la vie de ce peuple semi-nomade. Chaque année, si la récolte à été bonne, des joutes réunissent des dizaines de jeunes hommes issus de différents villages. Celles-ci sont l'occasion pour eux de montrer leur bravoure, leur valeur physique et leur habileté au combat, de gagner en renommée et de séduire les jeunes filles assistants aux combats. Les affontements sont extrêmement violents et occasionnent régulièrement de graves blessures, parfois même la mort.
Après parades et chants les combattants, enduit de peintures ornementales et armés de longs bâton écorcés d'environ 2m, entament la lutte en présence d'un arbitre. Les règles sont strictes : il n'y a que deux participants par combat. Les coups sont portés avec le bâton, aucun autre objet ou partie du corps ne peut être utilisé. Le combat s'arrête si un bâton casse ou à la demande d'un des participants. Les protections articulaires, cervicales et crâniales en fibres végétales tressées sont tolérées mais pas obligatoires. À l'issue de cette lutte qui ne dure guère plus de quelques minutes, il n'y a ni vainqueur, ni vaincus, seuls le combat et les éventuelles cicatrices infligées comptent tandis que la force, l'habilité et l'endurance des participants sont jaugées par les observateurs entourant les lutteurs.
Image 1 à 4. Lutteurs Suri. Rituel Donga.
Source : https://www.facebook.com/groups/550462668358535/permalink/920440278027437/
Palo Canario, le bâton canarien.
Les habitants des Iles Canaries ont conservé une forme traditionnelle de combat au bâton, le « Juego del Palo » ou « Palo Canario ».
On pense que le combat au bâton canarien est héritée de la culture aborigène guanche, peuple berbère originaire d'Afrique du Nord qui peupla les Iles Canaries depuis les côtes Sud du Maroc entre le 3ème et le 1er millénaire av jc. De nombreuses chroniques de la conquête espagnole au XVème siècle mentionnent d'ailleurs la grande habilité de ce peuple dans le maniement du bâton.
Le Palo Canario était utilisé traditionnellement comme arme pour se défendre en dehors des villages, pour résoudre les querelles en matiére de propriété du bétail et de zone de pâturage ou pour des motifs plus futiles. Il était également pratiqué lors des fêtes populaires au cours desquelles les hommes jeunes de chaque famille y démontraient leur habilité.
Ses techniques étaient jalousement gardées, transmismes uniquement dans le cercle familial de génération en génération.
Le Palo Canario est encore pratiqué aujourd'hui dans les Iles Canaries, où il est devenu une pratique davantage ludique, et constitue un des symbole de l'identité du peuple canarien.
Image 1, 2, 3 & 4. Palo Canario
Kalinda. Le bâton des Caraïbes.
Une grande partie des infos contenues dans cet article sont issues de la Médiathèque Caraïbe (www.lameca.org)
« Et tu joues du tambour. Tu sens que Calinda commence à venir. Calinda entre. Calinda arrive, tu entends le cutter-man jouer maintenant. Calinda commence à jouer maintenant. A ce moment tous les joueurs de tambours se regardent les uns les autres (...) Ce sont eux qui contrôlent. Les joueurs de tambours sont là, ils s’observent, Calinda commence à venir, Calinda entre. Bam ! Deux hommes ramassent deux bâtons et ils commencent. Bam ! Coupé. Sang. Calinda est arrivé »
Il existe dans les Caraïbes une tradition vernaculaire mêlant chant, rythme, danse et lutte au bâton connue sous les noms de « Kalinda » (Trinidad, Dominique), « Stick-licking » (Barbade, Curaçao), « Komba Bâton » (Haïti), « Stick Fichte » (Grenade, Cariacou), « Mani » (Cuba), « Setu » (Guyane), « Ladja » (Martinique) ou encore « Mayolé » (Guadeloupe).
Dans son ouvrage « Central Africa in the Caribbean: Transcending Time, Transforming Cultures » (2002) Maureen Warner-Lewis nous indique que le Kalinda était à l'origne une forme de divertissement pratiqué par les esclaves africains et leurs descendants dans les Caraïbes.
Gordon Rohlehr (Calypso and Society in Pre-independance Trinidad – 1990) et Erol Hill (The Trinidad Carnival – 1972) nous en apprennent plus sur le Kalinda. Cette forme de divertissement commune à l'ensemble de l'archipel caribéen et à la Louisiane durant la période de l'esclavage s'apparente à une danse martiale au bâton. D'abord esthétique, elle évolue dans un second temps vers le combat véritable accompagné des chants et du son des tambours, « shak-shak » (hochets) et clochettes qui ornent les costumes des bâtonnistes. Outre son aspect combatif elle revêt également une véritable dimension spirituelle.
La pratique du Kalinda dans les Caraïbes remonte à l'arrivée des premiers esclaves africains au XVIIème siècle. Après leur dur labeur ceux-ci trouvait dans cette danse un échappatoire au quotidien et à l'asservissement. Synonyme de résistance car frappée d'interdiction par les maîtres, elle était pratiquée en secret et s'est transmise uniquement oralement de génération en génération au fil des siècles.
A la suite de l'abolition de l'esclavage dans les Caraïbes au cours du XIXème siècle, la pratique du Kalinda s'est fondue dans le rituel carnavalesque qui cristallise alors la construction identitaire des esclaves nouvellement émancipés.
Bien que les autorités aient tenté d'interdire et marginaliser sa pratique aux XIXème et XXème siècles le Kalinda n'a pas disparu dans les Caraïbes.
A Trinidad les combats de bâtons Kalinda occupent aujourd'hui une place officielle au sein des festivités du carnaval à Trinidad et depuis une dizaine d’années une compétition nationale de combats de bâtons est même organisée par le National Carnival Committee.
Les jouteurs nommés « stickfighters » ou « bâtonniers » s’y affrontent dans une arène nommée « gayelle » entourée de femmes, d’hommes, et d’enfants, venus de différentes parties de l’île. Les combats sont rythmés par les chants responsoriaux d'un soliste (« chantwell ») et d'un choeur (« lavway ») ainsi que par le rythme des joueurs de tambour. Dans le Kalinda combat au bâton et accompagnement vocal et rythmique sont indissociables. Ils transmettent aux jouteurs l'impulsion dont ils tirent courage, force et inspiration. La dimension spirituelle est toujours présente. Chants et tambours sont empreints de magie. Les chanteurs évoquent la mémoire de bâtonniers de renom et l'univers dangereux du combat au bâton où l'on risque sa vie. Accordant leurs pas au son polyrythmique des tambours les bâtonniers entament alors une lutte endiablée et lorsque le sang coule il est dit que l'esprit du Kalinda se manifeste enfin.
Le Trinidad Guardian du 20/02/2003 résume les règles du combat au bâton Kalinda en vigueur aujourd'hui à Trinidad :
« deux participants sont autorisés à se provoquer l’un l’autre dans le ring à n’importe quel moment. Pas plus de trois coups à la suite sont permis pour chaque participant. Les coups répétés (Banrai) ne sont pas permis et conduisent à une disqualification instantanée. Aucun participant ne doit attaquer l’autre quand il tourne le dos et bat en retraite vers le coin des joueurs de tambours. Les participants doivent retourner à leur place lorsque le maître du ring les sépare et s’approcher à nouveau l’un de l’autre lorsque le combat peut reprendre. Rien ne doit être placé ou mis sur les « bâtons de bois » (the sticks of bois). Tous les « bâtons de bois » doivent être nus. Les « bâtons de bois » devront être examinés par un comité de trois personnes incluant l’arbitre. Le coordinateur devra informer les participants du moment où il faut entrer ou sortir du ring. Tout concurrent ne voulant pas se battre quand il est appelé sera disqualifié. Tout participant jugé coupable de violation d’une de ces règles sera également disqualifié. Des points récompenseront l’agressivité, la défense de tête, la danse et la défense au-dessus de la ceinture »
Image 1. Augustin (Agostino) Brunias (1728-1796). Un combat au bâton entre nègres anglais et français dans l'île de la Dominique.
Image 2. Augustin (Agostino) Brunias (1728-1796). Combat au bâton Dominicain.
Image 3 & 4. Kalinda
Source : https://www.facebook.com/groups/550462668358535/permalink/920441454693986/