Introduction
Avec l'émergence de deux champions aux tailles gigantesques (Semmy Schilt, 2m12, vainqueur du K1 Grand Prix 2005; et Nikolay Valuev, 2m13, champion du monde WBA de Boxe Anglaise depuis fin 2005), il devient intéressant d'étudier :
- l'évolution historique des gabarits dans les sports de combat
- et de rechercher les tailles et poids records.
Trois familles de sports de combat
Les sports de combat sont classés en trois grandes familles; qui eurent chacune leur représentant parmi les disciplines olympiques, dès l'Antiquité :
1- les "sports de préhension" comme la lutte "orthopale" de la Grèce antique ;
2- les "sports de percussion" comme le pugilat devenu bien plus tard la boxe en Angleterre ;
3- et les "sports hybrides" ou "mixtes" comme le pancrace qui associait techniques de préhension et de percussion (et dont on retrouve le pendant moderne au Japon, dans les compétitions du Pride FC).
Les gabarits-types des champions selon la discipline
Chaque discipline, requérant des capacités spécifiques, a favorisé l'émergence d'un gabarit-type pour ses champions.
1- La lutte a connu des compétiteurs aussi célèbres pour leurs tours de force (équivalents à nos modernes haltérophiles ou powerlifters) que pour leur appétit insatiable, avec une alimentation à base de viande (proche du "chankonabe" des sumotoris : suralimentation sur-protéinée); en résumé : des hommes forts et lourds.
2- Le pugilat a connu des compétiteurs très durs au mal, de l'Antiquité jusqu'aux aux XVIII et XIXèmes siècles (les combats s'effectuant avec des cestes pour renforcer les frappes ou à mains nues) et disposant si possible d'une grande allonge (donc généralement aussi d'une grande taille).
3- Quant au pancrace, il faut préciser qu'il s'effectuait jadis sur de la terre préalablement assouplie et légèrement arrosée. Cette précision implique une plus grande part de combat debout que ce à quoi on peut assister dans nos modernes UFC ou Pride FC. D'ailleurs, lors des tours préliminaires des tournois Antiques, le combat pouvait être limité à du "kato pankration" (pancrace debout, sorte de K1) au lieu du plus complet "ano pankration" (pancrace debout et au sol).
L'évolution des gabarits
Les progrès de la médecine et la meilleure alimentation des populations ont non seulement doublé l'espérance de vie des êtres humains mais, en plus, ont fait évoluer leur gabarit. Alors que la taille et le poids moyens sont restés quasiment les mêmes de l'Antiquité au XIXème siècle (environ 1m60 kg pour 60 kg), les caractéristiques physiques ont décollé au cours du XXème siècle.
Ainsi, grâce au progrès, les poids lourds qui étaient des exceptions par le passé, souffrant quelquefois de gigantisme (une anomalie médicale au même titre que le nanisme), sont de plus en plus nombreux aujourd'hui et même de plus en plus athlétiques.
Gabarits antiques
Les informations concernant les Jeux Olympiques de l'Antiquité, c'est-à-dire la période allant de 776 avant JC à 393 après JC, sont fragmentaires et incertaines ; car basées sur des écrits anciens non vérifiables et quelques statues dont on pense qu'elles représentaient "grandeur nature" les champions qu'elles honoraient.
Les hommes d'1m90 ou plus furent longtemps considérés comme des Héros (Demi-Dieu) voire des Géants; même jusqu'au XIXème siècle.
Ainsi, Lygdamis de Syracuse, vainqueur de la première épreuve olympique de pancrace, en 648 avant JC, était connu pour avoir mesuré la longueur du stade d'Olympie (192,27 m) en 600 pieds. Selon la conversion des anciennes unités de mesure, 1 toise valant 6 pieds, Lygdamis mesurait approximativement 1m92.
Le célèbre pugiliste Diagoras de Rhodes, couronné à Olympie en 464 av. JC, sujet d'admiration du poète Pindare, était connu pour sa taille hors du commun (4 coudées et 6 doigts, soit 1m95 ou 96) tandis que ses fils, eux aussi vainqueurs olympiques en pugilat ou pancrace avoisinaient les 4 coudées (environ 1m80) ; une taille habituelle pour les poids lourds de l'époque.
Les triples vainqueurs à Olympie ou à Pythô (Delphes), les deux sanctuaires où s'effectuaient tous les quatre ans les plus importants Jeux de l'Antiquité, étaient honorés par une statue à leur image (dite " iconique ") et généralement de grandeur nature. Ainsi, Glaukos de Karystos (vainqueur à Olympie en 520 av. JC et triple vainqueur à Pythô) fût représenté dans son attitude caractéristique de pugiliste par une statue haute de 5 coudées moins 4 doigts soit environ 2m15. Cette hauteur considérable est compatible avec la technique favorite de Glaukos qui consistait à frapper ses adversaires en utilisant son poing comme un marteau, de haut en bas, sur le crâne.
On a également retrouvé une copie de la statue d'Agias de Pharsalos (vainqueur à Olympie en 484 av. JC et triple pyhtionique), l'un des cinq meilleurs pancratiaste de toute l'Antiquité, qui mesurait 2m09. Difficile de savoir s'il s'agissait de sa taille réelle ou d'une exagération posthume.
Mais selon l'historien grec Pausanias (du IIème siècle après JC), " le plus grand homme qui ait jamais vécu " fut Polydamas de Skotoussa (vainqueur en pancrace en 408 av. JC), un géant qui dépassait largement les physiques de référence de l'époque comme par exemple Hérodoros de Mégare, trompettiste à la puissance incroyable (qui remporta les concours olympiques dans cette discipline pendant 9 ou 10 éditions successives) et qui mesurait 2m.
Etudions son équivalent dans la Bible, le guerrier Philistin Goliath, celui qui incarne le mieux le gigantisme. Goliath de Gath, qui vécut vers 1060 avant JC, aurait mesuré six coudées et une paume, soit 2m90. Toutefois, cette affirmation serait dûe à l'exagération des chroniqueurs. L'historien hébreu Flavius Joseph (37-95 ap. JC) et certains manuscrits des Septantes - la traduction grecque de l'Ancien Testament la plus ancienne - ne lui attribuent que quatre coudées et une paume grecques, soit 2m08. Et c'est en effet dans l'intervalle 2m04 à 2m40 que la plupart des historiens contemporains situent la taille réelle de Goliath.
Gabarits modernes
Au XVIIIème, XIXème et même au début du XXème siècle, on continuait à juger les combattants de plus d'1m90 comme des géants ; en comparaison avec les poids lourds " ordinaires ".
Il faut se souvenir qu'à la fin du XIXème siècle, quand on a introduit la notion de " catégorie de poids ", la limite des poids moyens avait été fixée comme suit :
- en boxe anglaise professionnelle, en 1892, la limite entre les " poids moyens " et les " poids lourds " fut fixée à 71,667 kg
- en lutte gréco-romaine, lors des premiers Jeux Olympiques de l'ère moderne, c'est-à-dire en 1896, la limite utilisée était de 75 kg.
Cela signifie que les poids lourds de l'époque devaient avoisiner les 80-85 kg à peine.
Cette estimation est d'ailleurs confirmée lorsqu'on étudie les gabarits des champions du monde de boxe à poings nus entre 1719 et 1892. Avec les informations incomplètes dont on dispose, il apparaît qu'un champion du monde au moment de la conquête de son titre mesurait en moyenne 1m80 pour 83 kg. Et quand bien même on ne fait la moyenne que sur les meilleurs champions de ces deux siècles (James Figg, Jack Broughton, Jack Slack, Tom Cribb et John L. Sullivan), on arrive précisément à 1m79 pour 88 kg.
On imagine alors pourquoi Paddy Ryan fut surnommé le " Géant de Troie " avec ses 1m95 pour plus de 90 kg. Lors de son premier combat professionnel, il disputa à la fois le titre Américain et celui de champion du monde. Et il les gagna ! C'était en 1880.
Mais même pendant la première moitié du XXème siècle, les gabarits supérieurs à 1m90 furent rares parmi les champions du monde de boxe professionnelle. En fait, on n'en compte que deux :
- Jess Willard, champion de 1915 à 1919, mesurant de 1m96 à 1m99 selon les sources, pour un poids de 104 kg au moment de la conquête du titre ;
- et l'Italien Primo Carnera, champion de 1933 à 1934, mesurant 1m97 pour 118 kg ; qui deviendra catcheur après sa carrière de boxeur.
Tout au plus peut-on citer des prétendants au titre " hors normes " tel que l'Américain Freeman (avec ses 2m07) dans les années 1840 ou encore ceux qui échouèrent contre Joe Louis (lui-même 1m86 ou 88, 90 kg) dans les années 1940 :
- Abe Attell : 1m93, 115 kg puis 116 kg lors de ses deux tentatives infructueuses ;
- et Buddy Baer (frère de Max Baer, 1m89, 95 kg, champion du monde de 1934 à 1935) qui mesurait 1m99 pour 108 puis 113 kg en 1941 puis 1942.
A partir des années 1960 …
Ce n'est que dans les années 1960 qu'on entre véritablement dans l'ère moderne des sports de combat :
- la boxe anglaise connaît sa " génération en or " avec les Ali-Frazier-Foreman (champions olympiques, donc amateurs, avant de devenir champions du monde professionnels)
- le judo devient sport olympique
- et les luttes olympiques voient l'émergence des combattants de l'URSS.
En 1960, tandis que le jeune Cassius Clay remporte une médaille d'or dans la catégorie des " moins de 81 kg " (longiligne avec ses 1m90 ou 91, selon les sources), le champion du monde poids lourd professionnel n'est autre que Floyd Patterson : 1m83, 86 kg. Le dernier d'une époque bientôt révolue puisqu'on créera bientôt une nouvelle catégorie de poids " cruiserweight " (qu'il faut traduire par " mi-lourd "). En 1962, Floyd Patterson se fait détruire par Sonny Liston (1m84, 97 kg) qui inaugure une longue série de champions d'environ 100 kg puis de 1m90 ou plus : Cassius Clay (1m91, 95 kg), George Foreman (1m92, 99 kg), Larry Holmes (1m90, 95 kg), James Douglas (1m92, 105 kg), Riddick Bowe (1m96, 107 kg), Lennox Lewis (1m96, 110 kg), Vitali Klitschko (2m02, 111 kg) … sans compter les " champions de l'alphabet " WBA, WBC, IBF et WBO.
Chez les boxeurs amateurs, ce sont deux Cubains de plus d'1m90 également qui écraseront les Jeux Olympiques sur un quart de siècle : Teofilo Stevenson (1m92, 93 kg) et Felix Savon-Fabre (1m94 ou 98 selon le sources, 91 kg).
Le premier Européen à battre les Japonais en judo fut un colosse néerlandais nommé Anton Geesink mesurant 1m98 pour environ 115 kg. Sa victoire lors des championnats du monde de 1961 à Paris fut même un traumatisme pour le Japon. Pour le contrer, des catégories de poids furent introduites. Malgré cela, en 1964, lors des premiers Jeux Olympiques (pour le judo) à Tokyo, bien que prévenus, les japonais ne purent l'empêcher de devenir champion olympique du titre suprême des toutes catégories.
En luttes olympiques (gréco-romaine ou libre), le premier grand champion de l'ère moderne fut Alexander Medved (1m90, 105 kg de moyenne … car issu des " moins de 97 kg ") qui remporta trois titres olympiques et sept championnats du monde. Ses successeurs les plus prestigieux furent le Soviétique Soslan Andiev (1m98, 116 kg) en lutte libre, l'Américain Bruce Baumgartner (1m85, 126 kg) en lutte libre, et le Russe Aleksander Karelin (1m91, 130 kg) en lutte gréco-romaine. Le tout pour une moyenne de 1m91, 120 kg !
Mais l'excédent pondéral est maintenant limité puisque les autorités de la FILA ont imposé un maximum de 130 puis 120 kg aux lutteurs. Ceux qui le dépasseraient n'auraient comme alternative que de se mettre au judo ou au sumo.
Gabarits records
Poids
Le poids maximum atteint par un lutteur contemporain fut 190 kg (pour 1m96) par l'Anglais Chris Taylor (lutteur amateur de 1950 à 1979) qui fut médaille de bronze aux Jeux Olympiques de 1972 (remportés par le bien plus léger Aleksander Medved).
Le record pour un " free-fighter " est 272 kg (pour 2m03), poids atteint par le champion du monde de sumo amateur Emmanuel Yarborough qui se reconvertit au " combat libre " pour 3 combats seulement (UFC, Shooto, Pride).
Le poids maximum atteint par un sumotori fut 275 kg (pour 1m84) par Konishiki (originaire d'Hawaï) qui atteignit le rang d'ozeki (" champion ") et remporta 3 bashos (" tournois de l'Empereur ") dans sa carrière professionnelle.
Enfin, le poids record atteint par un sportif fut celui du lutteur professionnel (comprendre " catcheur "), l'Américain William J. Cobb surnommé " Happy Humphrey ". Il fut pesé à 363 kg en 1962 !
Taille
Le plus grand lutteur connu (toutes disciplines de préhension confondues) fut le sumotori du XIXème siècle Ozora avec 2m20.
Le plus grand boxeur professionnel, cité par le Livre Guiness des Records, est le Roumain Gogea Mitu qui mesurait 2m23 (pour 148 kg) en 1935.
Enfin, le " free-fighter " (anciennement, on aurait dit pancratiaste) le plus grand de ces dernières années, est un ancien joueur de basket-ball, le Brésilien Paolo Cesar " Giant " Silva présenté par les promoteurs du Pride FC comme atteignant 2m30 pour 230 kg (données révisées par le site www.sherdog.com à 2m18 pour 175 kg).
Anecdotes pour conclure
A titre d'information, l'homme le plus grand " de tous les temps " (depuis que les données sont vérifiables scientifiquement) ne fut pas un sportif. Né en 1918 et mort en 1940, Robert Pershing Wadlow atteignit 2m72 et avait pesé jusqu'à 223 kg (199 kg le jour de sa mort). A l'âge de 9 ans, il était capable de porter son père (qui mesurait 1m82 et pesait 72 kg) jusqu'en haut des escaliers de la maison familiale. A cet âge-là, Robert Wadlow mesurait 1m89 pour 82 kg !
Cet exploit n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui de Theogenes de Thasos (champion de pugilat entre 490 et 473 av. JC) qui s'était rendu célèbre lui aussi à l'âge de 9 ans pour avoir porté une statue de bronze que peu d'hommes adultes de son époque auraient pu porter.
On dit aussi de Theogenes qu'il remporta 1400 couronnes (victoires) lors de sa glorieuse carrière (il est considéré comme le 2ème plus grand champion des sports de combat de l'Antiquité derrière Milon de Crotone). Ce nombre n'est pas si impossible qu'il y paraît puisque le Livre Guiness des Records cite deux boxeurs (de l'époque contemporaine) ayant livré plus de 1000 combats :
- Bobby Dobbs : 1024 combats au cours de sa carrière ;
- Abraham Hollandersky alias Abe " Le crieur de journaux " avec quelques 1309 combats de 1905 à 1918 mais un bon nombre d'entre eux étaient des exhibitions.