Le judo reste le troisième sport en France en nombre de licenciés. Un succès qui dépend de valeurs à préserver, à transmettre. C'est ce que fait François Fanni depuis longtemps, en tant qu'éducateur. Il vient de prolonger cette démarche à travers un livre.
Anton Geesink (champion olympique à Tokyo en 1964) a dit avant le début des Mondiaux de Rotterdam (26-30 août) que les lutteurs venus de l'Est avaient dénaturé le judo. Partagez-vous ce constat ?
François Fanni : Oui, absolument, et je le déplore dans mon livre ("Initiation et perfection pas à pas", sorti en août 2008 aux éditions Solar). Et ce n'est pas récent : c'est le cas depuis plusieurs
décennies. On a dénaturé le judo en acceptant que des lutteurs s'introduisent dans notre sport. Il aurait fallu être plus vigilant, empêcher que le judo ne devienne une lutte comme les autres. Pour bien vous expliquer, je dirais qu'en tennis on n'empêche pas le joueur d'utiliser sa raquette, on ne lui bloque pas le bras. Le judo ne doit pas être une opposition de forces.
Cette tendance est-elle irréversible ?
F.F. : Je suis optimiste car il y a une prise de conscience au niveau international, et la France n'est pas étrangère à la volonté de changer les règles. Nous avons modifié les règles d'arbitrage jusqu'au niveau D2. Les Japonais sont aussi conscients de cela. Nous allons finir par améliorer la situation.
Tout cela est une question de pratique et de valeurs inculquées. Y-a-t- il en France une façon d'enseigner et de pratiquer le judo ?
F.F. : C'est une bonne question, et je ne saurais y répondre de façon catégorique. Certains judokas ont l'esprit, d'autres non. Tout dépend de l'école d'où l'ont vient. Beaucoup de professeurs essaient de communiquer cet esprit. A l'issue d'un combat, on assiste parfois à des manifestations de joie désordonnée. Y compris au plus haut niveau. C'est la marque d'un manque d'esprit de ce qu'est le judo. Pour tenter de répondre à votre question sur la pratique du judo en France, je dirais que selon moi un combat débute debout, et que dans l'idéal il doit se conclure debout. Mais, évidemment, il y a des spécialistes du combat au sol, qui développe les mêmes propriétés : le déséquilibre, la mobilité.
Le judo a longtemps été porté en France par la popularité de David Douillet, champion olympique en 1996 et en 2000. Teddy Riner a repris le flambeau en obtenant deux titres de champion du monde. Est-ce que cela ne fausse pas la vision du grand public d'avoir un poids lourds comme locomotive ?
F.F. : Non. La façon de faire du judo n'est pas exactement la même suivant les catégories, mais la jeune Morgane Ribout, qui a remporté son premier titre mondial (-57 kg), à Rotterdam, peut aussi rapidement devenir une figure de proie du judo français. Pour cela, il faudra qu'elle assure une continuité dans ses résultats. Quant à Teddy Riner, on oublie qu'il encore très jeune. Il mérite cette place à part. C'est quelqu'un d'intéressant, qui communique bien. Je souhaite simplement qu'il ne prenne pas la grosse tête, car c'est arrivé à d'autres, qui ont oublié leur public, les judokas ordinaires.
Quand on écrit un livre, c'est que l'on a quelque chose de particulier, de différent à dire, à expliquer. Qu'est ce qui vous a donc motivé ?
F.F. : En fait, je ne me suis pas dis "je vais faire un livre". Cet ouvrage est le résultat de rencontres, des circonstances. On m'a demandé de le faire et j'ai accepté car je voulais développer différents points éparpillés dans d'autres livres : les valeurs du judo comme le code moral, les bienfaits du judo aussi bien pour les jeunes que pour les adultes. C'est là je pense l'originalité de ma
démarche : expliquer les principes mécaniques, les techniques, les points d'appuis, les leviers de forces, l'énergie cinétique. Avec des moyens intéressants - les mouvements sont décomposés dix images par secondes -, on montre la construction d'une attaque, et les suites qui peuvent en découler. Le livre est construit pour monter en puissance : il s'achève sur la prestation d'une ceinture noire 6e dan qui expose des techniques élaborées, plus fines.
Quel accueil pensez-vous qu'il aura ?
F.F. : J'espère qu'il sera bien perçu par les pratiquants, le corps enseignant. L'intention est de susciter des envies, des vocations, transmettre un message. Le judo m'a permis de me construire. Lorsque l'on reçoit beaucoup, on espère pouvoir donner en retour. C'est ce que j'essaie de faire.
Eurosport - Stéphane VRIGNAUD
http://www.eurosport.fr/judo/garder-les-valeurs_sto2053721/story.shtml