INTERVIEWS - En 2011, les deux champions peuvent entrer dans l'histoire du judo et de la boxe. Rencontre d'hommes forts. Riner joue son championnat d'Europe ce samedi.
Teddy Riner est de tous les combats de Jean-Marc Mormeck depuis son retour sur le ring en 2009. Et le boxeur est venu soutenir le judoka de seize ans son cadet au tournoi de Bercy. Les deux Guadeloupéens s'apprécient, se suivent. En 2011, ils peuvent entrer dans l'histoire, le premier en décrochant le record absolu d'un cinquième titre mondial, le second en devenant le premier Français champion du monde des lourds. Rencontre au Figaro entre deux hommes forts.
LE FIGARO.- De quand date votre première rencontre ?
Teddy RINER.- La première fois où on s'est vraiment parlé, c'était durant l'hiver 2007 à sa salle d'entraînement. C'était impressionnant !
Jean-Marc MORMECK.- Je préparais mon combat contre David Haye, face à un sparring-partner de 2 mètres pour 140 kg. Mon entraîneur était l'Américain Richie Giachetti qui avait aussi coaché Mike Tyson.
T. R.- Tyson, je l'ai rencontré deux fois, au Festival de Cannes et en décembre dernier, en Corée. Il a maigri ! L'image du Tyson dans les médias est celle d'un mec agressif. Mais, quoi qu'on en dise, il est respectueux et il n'oublie pas.
Qu'est-ce qu'un homme fort ?
J.-M. M.- Un homme fort dans sa tête. En ce sens, Mike Tyson est une référence. Plutôt petit pour un poids lourd, cela ne l'empêchait pas de gagner face à des gars de 2 mètres. Mais celui qui a un gabarit impressionnant et qui réussit à bien s'en servir, comme Teddy, est aussi un homme fort.
T. R.- Tout le monde me dit : «Si j'avais ton corps, je ferais pareil.» Cela ne veut rien dire. Je réussirais dans n'importe quelle catégorie, car je me sers beaucoup de ma tête.
Teddy, vous auriez pu faire de la boxe ?
T. R.- Non ! Prendre des coups, non !
Dans vos sports de combat, le but ultime est de faire tomber l'autre, non ?
J.-M. M.- En boxe, on fait tomber parce qu'il y a des impacts. On frappe, on fait mal, on prend aussi des coups terribles. En judo, ils n'ont pas d'impact mais on retrouve le corps à corps.
T. R.- En boxe, tout me semble être en déplacement, en feintes. Un peu comme nous. Plus jeune, mon entraîneur me disait : «Fais comme Ali : vole comme un papillon, pique comme une abeille.» Ce qui veut dire : déplace-toi, pose tes mains, attaque, surprend l'adversaire.
J.-M. M.- Teddy, qu'est-ce qui fait que tu es meilleur que les autres ?
T. R.- J'ai confiance en ce que je fais à l'entraînement. Quand je suis en préparation, il n'y a pas de téléphone, pas de copine, rien. Il n'y a que le travail. Je m'impose des charges plus importantes que les autres. Et quand je les vois commencer à râler, je me dis : «Ça commence là, continue.»
J.-M. M.- Mon préparateur tente de me freiner en ce moment ! Mais j'ai besoin de travailler, de me fatiguer. J'ai peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être bon. Ça me traumatise.
Quel est votre rapport à la douleur ?
J.-M. M.- Il y a la douleur supportable par tous. Puis vient celle où le mental te dit que tu peux endurer plus. C'est être constamment au bord du précipice sans filet. Si je tombe, tant pis. Mais il ne faut pas tomber. C'est un jeu, un peu pervers certes, mais c'est un jeu.
T. R.- Il faut chaque fois se mettre dans le rouge. Ton adversaire à l'entraînement, tu as envie de le voir craquer, de le voir mettre cent ans à se relever, qu'il dise stop. Tant que tu ne vois pas ces premiers signes, tu continues.
Dans une interview, vous disiez : «Je préfère crever sur un tapis que de céder».
T. R.- Sur chaque compétition, je dis à ma mère : «Fais comme si tu ne devais pas me revoir parce que je vais laisser ma vie sur le tapis.» J'aime me mettre dos au mur. Je donne tout, j'oublie le temps, tant que l'adversaire n'a pas craqué.
J.-M. M.- Je crois beaucoup au mental. Il comble mes lacunes. J'ai commencé la boxe à 15 ans. Je faisais 69 kg. Maintenant, je suis chez les lourds. Je suis rentré dans la peau de quelqu'un. Il faut être teigneux. Quand le mec frappe, je sens la douleur mais il ne faut rien laisser voir. Je mets et remets les gants pour ces moments où on se dépasse dans la douleur. Un coach américain racontait que Tyson, petit, pleurait avant d'entrer sur le ring et il lui disait : «Pourquoi as-tu peur ? Le héros et le lâche ont la même peur. La seule différence est que l'un passera cette peur, l'autre reculera devant elle.»
La boxe, c'est les États-Unis ; le judo, le Japon. Quel rapport entretenez-vous avec ces deux pays ?
T. R.- De respect. Au Japon, tu es spectateur, tu regardes, tu apprécies, tu prends les informations. Si on te dit stop, tu t'arrêtes. C'est comme un temple. J'ai une pensée pour les Japonais terriblement touchés par les catastrophes. Je suis admiratif devant leur stoïcisme, leur humilité et leur force. Je sais qu'ils sauront ensemble surmonter cette épreuve.
J.-M. M.- De magie. En 2003, quand je suis arrivé aux États-Unis, tout le monde m'appelait «Hey champ !». Mais ça, il faut le prouver constamment. Au camp d'entraînement de Don King, l'idée des mecs était de me montrer qu'ils méritaient eux aussi d'être champion. Je me suis fait dérouiller !
T. R.- J'ai l'impression de voir un miroir de mon sport et de ce que j'ai vécu. Champion, les adversaires veulent te prendre en stage. Mais dès que tu montres à un Japonais qui est le patron, il n'y a plus personne. Le Coréen, lui, est un Japonais bad boy ! Il va te montrer qu'il veut être patron. Et c'est la guerre.
J.-M. M.- C'est la mentalité américaine. C'est pourquoi j'y retourne m'entraîner pour préparer la ceinture mondiale. À Los Angeles, il y a des entraînements de 7 heures à 23 heures - ce qu'on ne verra jamais en France. Les mecs, ils sont là, ils veulent devenir champion. La façon dont ils te regardent, c'est bestial. Comme dans Rocky. J'ai été, aujourd'hui je ne suis plus. Si on n'arrive plus à supporter cette odeur de camphre, de sueur, ce côté sauvage, il faut arrêter. Est-ce que je me suis embourgeoisé ? Aller là-bas, c'est le seul moyen de le savoir. Quand j'ai fini la séance avec mon entraîneur Freddie Roach, des mecs sont venus se proposer comme sparring-partner. Dans cette salle, ça pue. Mais c'est là qu'on devient champion. Ce sont les premiers juges.
Quel serait votre rêve aujourd'hui ?
T. R.- Je ne sais même pas si c'est un rêve : j'ai envie d'être champion olympique.
J.-M. M.- Mais est-ce qu'il te manque quelque chose dans le sport ? J'ai eu tout ce que je voulais mais aujourd'hui, j'ai encore un rêve. Juste ce truc : être le premier champion du monde français des lourds. En tout cas, faire ce combat.
T. R.- Mon rêve est d'être imbattable. Arriver à faire ce que je veux. Poser mes mains et, quand je vais le décider, l'autre va tomber. Je m'entraîne pour être imbattable, non invincible.
Teddy Riner avant son combat aux Championnats d'Europe. Serein, le quadruple Champion du Monde estime que sa marge de progression est encore importante:
http://bcove.me/7zq564y5 Par Laurence Schreiner
http://www.lefigaro.fr/sport/2011/04/20/02001-20110420ARTFIG00698-riner-mormeck-le-combat-en-trait-d-union.php