http://www.lacroche.re/
Serait-ce une habitude de certains milieux culturo-sportifs que de s’accaparer les travaux de recherche des uns pour les mettre à la sauce « péi». Au-delà du fait que les travaux ont généralement pour objectif de raconter l’histoire de nos Anciens, ils peuvent permettre de revaloriser des pratiques « lontan », afin de les proposer aux générations futures, dans un souci à la fois de ne pas les oublier et, d’autre part, de les inscrire dans les activités de notre temps. Dans les années 80/90, la CONFEJES (Conférence des Ministres de la Jeunesse et des Sports Francophones), dont le siège est à Dakar, a mis en œuvre une politique d’harmonisation et de codification de toutes les formes de luttes traditionnelles pour les faire rentrer dans la modernité tout en conservant leur dimension culturelle. Cela a donné naissance au style de Lutte Africaine, reconnu depuis par la Fédération Internationale. Les documents « Manuel de Lutte Africaine », tome I et II, concernant ces recherches à la fois historiques, techniques et pédagogiques, ont été expédiés à toutes les DDJS de France (et donc à la Réunion). Quelles années plus tard, est apparu un document nommé « Manuel du Moringue Réunionnais », plagiat de la capoeira brésilienne et des 34 articles du Code de Lutte Africaine, sans oublier les rubriques (recommandations et annexes) relatives à l’organisation de compétitions. Or, à l’arrivée des premiers Malgaches, le Moringue a existé à la Réunion et existe toujours sur la grande île, sous la forme d’une véritable « baston » avec défis et paris au niveau des spectateurs friands de sports de combat assez violents. En collant à la réalité, remettre à l’ordre du jour cette ancienne pratique aurait dû permettre de synthétiser sur notre île la boxe anglaise, la boxe française, la boxe thaï, le kick boxing, … toutes ces pratiques d’aujourd’hui, qui attirent les jeunes en « sur-plus » d’énergie. Au final, un rendez-vous manqué avec l’Histoire et les sports de combat modernes.
En 2006, les éditions « Azalés » de la Réunion ont publié un ouvrage titré : « La Croche – Lutte Traditionnelle Réunionnaise ». Les auteurs ont fait un travail quelque peu similaire à ce qui s’était passé sur le continent africain : interviews de « Gramounes », répertoriage de toutes les techniques avec leur terminologie créole, codification de cette ancienne pratique appartenant au patrimoine culturel réunionnais, en faisant l’effort de ne pas la dénaturer et de coller au plus près de ce qui se faisait dans le temps « lontan ». La Fédération Française de Lutte puis la Fédération Internationale ont reconnu ce style et des clubs ont vu le jour, principalement du côté de St Paul. Développer l’activité sur tout le Département supposait une formation de cadres techniques et l’apport de financement permettant de former, d’organiser des rencontres, de mettre en place un championnat régional, sur toutes les communes de notre île, voire même d’exporter la Croche en direction des îles sœurs. Ces projets étant difficiles à mettre en œuvre auprès du Comité de tutelle s’occupant principalement de lutte olympique, un dossier de demande de subvention spécifique a été élaboré par les deux principaux auteurs de l’ouvrage « La Croche ». Mais une fois la subvention obtenue, ces derniers ont été écartés par une nouvelle équipe davantage tournée vers la lutte olympique. A partir de là, la codification a été modifiée, compliquant la réglementation jusqu’à prendre une nouvelle appellation : « lutte la croche » pour re-nommer « La Croche ». Au fils des articles, le “Crocheur” est devenu “Lutteur” et la référence à des techniques de lutte (liane, souplesse arrière, ... par exemple dans les interdits) confirme alors cette “luttivisation” forcée de la Croche qui, historiquement et comme la plupart des luttes traditionnelles à travers le monde, n’a rien à voir avec la réglementation de la lutte olympique. Ces modifications arbitraires de certaines règles (alors que les rencontres sportives se déroulaient jusqu’à présent sans problème) ont totalement transformé l’esprit et la dimension culturelle de cette pratique « lontan ».
Cela signifie, entre autres, que les travaux de recherche et de revalorisation ne sont parfois pris en considération que lorsque l’intérêt est ailleurs. Force est de constater que s’approprier le travail des autres et procéder sans discernement au « copier-coller » deviennent de plus en plus à la mode dans nos sociétés, aussi bien dans le sport que dans d’autres domaines : recherche, santé, littérature, habillement, …..
Frédéric Rubio / spécialiste de sports de combat